Premier lever de soleil sur la Plage des Cathédrales
Dépité mais pas découragé par ce que j’avais vu la veille au soir, j'avais prévu de commencer à photographier à 6:30 dans la lumière tranquille du matin. Un café pour démarrer, un bout de brioche, des dattes en cas de fringale dans le sac photo, et j’étais en route vers la plage.
j’arrivais dans l’obscurité la plus totale. Le thermomètre de la voiture indiquait 6°C à l’extérieur, J’avais dû mettre le chauffage pour les quelques kilomètres du trajet. Je ne m’attendais pas à trouver de telles températures en Espagne fin avril. Quand on pense à l’Espagne, on pense plutôt soleil, chaleur, plage de sable mais ça, c’est la côte Est. Ici, c’est le Nord-Ouest. Cela ressemble plus à l’Irlande, mais avec des eucalyptus. J’enfilais donc plusieurs couches de vêtements et des gants, avant de prendre la direction des escaliers qui mènent à la plage.
J’avais donc un peu de temps et un peu de lumière pour retrouver les quelques compositions que j’avais vu la veille. Je vous rappelle que le lever de soleil ne devait se produire qu’à 7:35.
Vous allez me dire qu’à 6:30 du matin, il ne fait pas jour à cette période de l’année. Et c’est vrai, mais la luminosité commence à augmenter dès la fin de ce qu’on appelle l’aube astronomique. C’est le début de l’aube nautique: la lumière du soleil, qui lui est encore derrière l’horizon, est réfléchie vers la Terre, par l’atmosphère et les éventuels nuages. Il ne fait donc pas jour mais il y a de la lumière, suffisamment en tout cas pour faire des photos et y voir un peu sans lampe frontale.
Mais pour ce genre de choses, être à l’heure, c’est déjà être en retard. J’arrive donc en général 15 à 20 mn avant l’aube civile, simplement pour avoir du temps pour la composition, les réglages et être prêt quand la lumière commencera à interagir avec l’atmosphère, le paysage.
Peu de temps après avoir enregistré cette vidéo, j’entends du mouvement en haut des escaliers. Je relève la tête et j’aperçois la silhouette d’un homme avec un trépied posé devant lui. Bon, ça va, c’est un photographe. Je dois dire que j’en croise rarement dans les endroits que je photographie habituellement, mais l’endroit est très connu des photographes alors n’en voir qu’un, ça va! On ne devrait pas trop se marcher sur les pieds.
Je continue de déclencher pendant que la lumière augmente progressivement. Au bout d’un moment, l’envie de changer de composition me démange, et je décide de changer de place.
Par correction, je me tourne vers le photographe derrière moi et lui demande s’il parle anglais, mon espagnol étant loin d’être de retour, afin de lui demander si je ne vais pas ruiner sa photo, en me plaçant devant lui un peu plus bas. Mais il semble que son anglais soit au niveau de mon espagnol. “Mince!” dis-je (j’ai sûrement dû utiliser un terme plus fleuri mais le sens reste le même). Et lui: “Français? Ca va être plus simple, moi aussi”. C’est Alain, un photographe de Toulouse.
Je change donc de position sans le déranger. Plus tard, on discute un peu, tout en continuant à faire des photos.
Le soleil se lève et maintenant la marée est suffisamment descendue pour qu’avec Alain, nous nous engagions sur le sable. Une fois que la mer s’est retirée, la plage est vierge de toutes traces.
Nous longeons donc les falaises, pour ne pas laisser d’empreintes de pas, dans le cas où une photo se présenterait. Il se trouve que nous avons le même but: voir les fameuses arches qui ont inspirées le nom de cette plage (son nom originel est Praia de Augas Santas en galicien (Plage des Eaux Saintes).
Je continue de chercher des compositions tout en avançant. Les photos ne seront certainement pas exploitables au vu de la lumière mais elles me serviront de notes, de références, pour une prochaine fois. Après tout, j’ai encore 6 jours devant moi avant de changer d’endroit.
D’après les recherches que j’avais faites en amont, je savais que les marées de cette semaine ne m’étaient favorables que jusqu’au mercredi. Passé ce jour, il serait impossible d’accéder aux arches entre le lever et le coucher du soleil. J’avais donc pointé sur Google maps quelques lieux dans un rayon de 2 h en voiture.
Nous avançons donc le plus loin possible, mais il arrive un moment où il faut se rendre à l’évidence : les arches ne seront pas accessibles, la marée ne descend pas suffisamment. De plus, la lumière est vraiment très dure maintenant. Inutile d’insister, il vaut mieux aller prendre un café.
L’avantage de ces lieux touristiques, c’est qu’en général, il n’est pas trop compliqué de trouver un bar. Là, il est situé sur les falaises qui surplombent la plage et à deux pas du parking s’il-vous-plait!
Nous passons donc un petit moment là, avec Jeanne, la femme d’Alain qui nous a rejoint un peu plus tôt sur la plage. Elle fait des photos aussi. Elle aime prendre les détails, des roches, des algues. C’est un genre que j’apprécie également, tant à pratiquer qu’à contempler en photo.
Nous nous séparons là. Eux continuent leur route vers l’ouest dans leur van, et moi je vais manger un morceau et faire une sieste. Je suis debout depuis 5:00 et ça commence à piquer un peu. Il me faut me reposer un peu avant de retenter ma chance ce soir, depuis les falaises.
Malheureusement, je n’ai pas vraiment réussi à trouver de compositions intéressantes depuis le haut des falaises, ce soir-là. Une belle vue ne fait pas nécessairement une bonne photo. C’est ce qui fait la différence entre un instantané pris sans plus y réfléchir, juste parce que c’est beau, une photo souvenir, et une photo que vous prendrez soin d’encadrer avant de l’accrocher chez vous.
En photographie de paysage, on échoue plus souvent qu’on ne réussit. Ansel Adams disait : “Douze photographies significatives dans une année est une bonne récolte.” Ca fait partie du jeu. On rate beaucoup, on essaie de comprendre pourquoi on a raté, puis on recommence, encore et encore. Vous allez me dire que c’est le mythe de Sisyphe. Sauf que contrairement à Sisyphe, chaque échec est un progrès même s’il est minime. Cela peut paraître décourageant, mais ça ne l’est pas si vous n’êtes pas obnubilé par le résultat, que la récompense n’est pas dans la photo finale mais dans la pratique même de la photographie : être en pleine nature, dans les éléments, s’émerveiller d’un lever de soleil, marcher dans une forêt quand le jour se lève et que le chant des oiseaux remplace progressivement le silence de la nuit, voir les montagnes se teinter de rouge au petit matin, et tenter de saisir ces instants en photos de manière structurée.
De plus, le vent s’était joint à la partie ce soir-là, et de fortes rafales balayaient le rivage. Ca aurait été très imprudent de s’approcher trop près du bord à la recherche de photos. J‘étais tout seul, aucune photo ne vaut de risquer une chute de 30 m dans des eaux bouillonnantes.
Quelques images pour vous donner une idée de ce à quoi j’étais confronté :
Avec des conditions de vent comme celles-ci, il est vraiment très difficile de faire des photos au téléobjectif à cause de la prise au vent, ou des expositions trop longues sous peine de n’avoir que des photos floues à cause des vibrations du trépied et de l’appareil photo. J’étais donc limité dans mes options.
Je m’étais abrité derrière un muret mais même là, le vent restait violent. J’ai donc abandonné au bout d’un moment, en me disant que je pourrais toujours profiter des dernières lueurs du jour pour faire quelques détails des roches que j’avais repérées à l’aller. L’érosion et la géologie associées créent des formes abstraites que je trouve fascinantes.
Je shoote jusqu’à la nuit d’où la couleur bleutée des dernières photos, et je retourne à ma voiture, éclairé à la seule lumière de ma frontale. Il est temps parce que demain il faut de nouveau se lever à 5h. Je vais aller voir une autre plage, mais je n’y ai pas fait de repérages alors ce sera la surprise.